Marcel Aymé collaborateur ?
par Michel Lécureur [revue Lettres comtoises n° 8, 2003]
Au terme de la commémoration du centenaire de la naissance de Marcel Aymé (1902-1967), un courant dopinion continue à médire de cet écrivain, sous prétexte quil se serait compromis pendant la seconde guerre mondiale. Dans la mesure où beaucoup parlent sans sêtre documentés, il semble nécessaire de rouvrir le dossier de lattitude de Marcel Aymé pendant lOccupation.
Tout dabord, il faut rappeler, quavant 1939, il était généralement jugé comme un homme de gauche. Son évocation des petits cols blancs dans Aller retour (1927), et son roman populiste, La rue sans nom (1930), avaient sans doute contribué à créer cette image. En 1933, La Jument verte fut indéniablement luvre dun progressiste désireux de se libérer de nombreux tabous. Cest à ce titre, et pour ses qualités décrivain, quEmmanuel Berl lengage alors pour tenir une rubrique dans Marianne, hebdomadaire politico-littéraire de gauche, voulu par Gaston Gallimard, pour rivaliser avec les publications de droite quétaient Gringoire et Candide.
Dans Marianne, Marcel Aymé commente lactualité, quelle soit anecdotique ou politique, et, le 3 mai 1933, il intitule son article : Vive la race ! De quoi sagit-il ? Dun texte qui tourne en ridicule les concepts racistes des nazis. Pour ce faire, lécrivain imagine un vaste rassemblement dHitlériens, décidés à traquer les Juifs. Lun deux est dabord tué et lorateur réclame le foie pour son chat Dautres lynchages ont lieu sur des critères aussi simplistes que les cheveux noirs et le nez busqué. À chaque fois, lorateur réclame les foies. Dans la mesure où il ajoute que les juifs sont parfois blonds aux yeux bleus, tous ceux qui présentent ces caractères sont mis à mort et le seul survivant finit par sexécuter lui-même. Quant à lorateur, il expire à cause dun foie qui lui est tombé dans la bouche. Cet article, de mai 1933 , nest pas isolé. À plusieurs reprises, Marcel Aymé sen est pris au régime hitlérien. En août 1933, dans Coupe doreilles, il a évoqué le cas dun garçon-coiffeur allemand, du nom dHandersen, qui avait la fâcheuse manie de couper les oreilles de ses clients. Il sagit évidemment dun pervers, qui permet à Marcel Aymé décrire : « Les docteurs de lAllemagne hitlérienne, qui ont des vues si arrêtées sur la classification des grandes familles humaines, nauront pas été sans observer que le garçon coiffeur son nom de Handersen lindique suffisamment- est un représentant du type aryen le plus pur. Cette curieuse manie de couper les oreilles des clients serait un cas magnifique de retour aux origines, presque une apologie des vertus guerrières de la race élue, et en attendant la prochaine, Handersen pourrait déjà semployer utilement dans les brigades dassaut ». En août 1934, dans Vague de pudeur en Amérique, il ironise sur la pudibonderie américaine dalors et glisse, au passage : « Nous avons vu, tout récemment, dans lAllemagne hitlérienne, des guerriers punis de mort pour avoir détourné leur postérieur de son usage essentiel, et il semble bien quune même fureur vertueuse anime toutes les nations vouées à la dictature. » Quinze jours plus tard , il samuse de la mode du bronzage et conclut : « Seules, les gueules noires auront [bientôt] le droit dinscrire leurs noms dans les bottins mondains. Il faut espérer que ce temps-là est assez éloigné pour laisser à M. Hitler le temps de mourir dans son lit, parce quil serait sûrement très malheureux de voir ainsi compromise lintégrité de la race aryenne. » Voilà des textes qui parlent deux-mêmes et ne permettent aucun doute sur le rejet du régime hitlérien par Marcel Aymé.
Toutefois, ceux qui le connaissent très mal pourraient imaginer quil ait été impressionné par la victoire des troupes allemandes et quil se soit rallié à leur cause dans un souci dopportunisme. Il nen est rien. Pendant la deuxième guerre mondiale, il na été daucun voyage en Allemagne, daucune soirée à lambassade et sa signature nest jamais apparue dans les Cahiers franco-allemands. Cependant, elle a figuré dans des organes de la collaboration comme La Gerbe et Je suis partout. Cest parfaitement vrai, et, pour être complet, il convient dexaminer le contexte et le contenu des textes ainsi publiés. Lire la suite…