Les invités : Gilbert Giboudeau présenté par Pierre Perrin et Christine-Marie Lorent, [Préface au catalogue Giboudeau, Musée Denon, 26 nov. 1994]

L’âme des racines
Préface au catalogue Giboudeau, Musée Denon, 26 nov. 1994

© Gilbert Giboudeau, 
        Sahel-sécheresse, 1986 [relief peint]

Les dessins paysagers de Gilbert Giboudeau témoignent, s’il en était besoin, de la parfaite maîtrise de son art. Avec une technique innée de la composition, l’artiste dispose sur la feuille des éléments saisis par un oeil de poète. Le soin, la précision des détails savent ne pas nuire à l’expression d’un mouvement qui donne vie au paysage. Le geste est maîtrisé, dans une grande économie de moyens. Les encres, de Chine ou sépia, lavées ou travaillées à la plume, la mine de plomb, se prêtent à la naissance de compositions où cohabitent avec bonheur la spontanéité du croquis et l’unité de l’achèvement.

C’est en cela qu’apparaît la marque du créateur. La feuille ménage souvent des « blancs », des oublis nécessaires à l’essentiel. Il s’agit avant tout de figurer. Un ciel, par un lavis vivement brossé, allège et aspire vers lui des arbres, des clochers travaillés, en légèreté ou en tourmente, par une plume nerveuse et précise. La forme d’un rocher, la suggestion d’une cascade, figée dans sa fuite, la paix de l’étalement des lacs vont bien au-delà du désir de reproduire la nature. Une âme s’est glissée là. Chez Gilbert Giboudeau, le réalisme donne à rêver.

Car le peintre est également poète. Son travail ne se contente pas de saisir un fragment de la réalité. Le dessin doit parler à celui qui regarde, comme en témoignent les titres ensuite attribués : Les Os de la Loue, La Vigne du père... La terre est saisie par le geste du peintre pour mieux la porter vers l’infini.

Peintre et poète franc-comtois, c’est sa terre et ses traits caractéristiques qui ont retenu l’oeil de Gilbert Giboudeau. Les eaux, dans les lacs, les rivières et les cascades ; les montagnes aux formes de collines, les rochers abrupts ou chaotiques ; une végétation massive sur laquelle se détache l’élancement des sapins ou des arbres centenaires, tourmentés par leur âge. Les architectures typiques sont omniprésentes. De l’humble cabane de vacher à l’imposante cathédrale de Dole, elles témoignent de la richesse du patrimoine franc-comtois, signes de la vie de générations d’hommes attachés aux traditions religieuses et aux soins de leur terroir.

De 1952 à1972, Gilbert Giboudeau a vécu en Afrique — Haute-Volta et Mali. De ce long séjour en soleil et sécheresse, il rapporte une palette lumineuse, un sens des formes plus épurées, éthiques parfois. Cette influence transparaît déjà dans le traitement des reliefs francs-comtois, dans l’étrange luminosité des gouaches appliquées à nos paysages. C’est ici l’étape qui précède une esthétique plus irréelle, empreinte de fantastique, mais toujours révélatrice d’une réalité mise à nu.

Le paysage est le premier degré de son art. Il n’est souvent qu’un décor pour exprimer une vie difficile et magnifique. Si la terre est son royaume, l’homme l’habite et la malmène à l’image de l’hiver sur les arbres.

Comment vivre sans racines ?

Pierre Perrin et Christine-Marie Lorent, Préface au catalogue Giboudeau, Musée Denon, 26 nov. 1994


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