Pierre Perrin présente Philippe Debiève, graveur
Philippe Debiève est né en 1956, à Besançon. Étudiant, il a mené très loin des études de biologie, avant de travailler pour un laboratoire pharmaceutique en Suisse, pendant six ans. Il a dessiné, durant tout ce temps, et peint plus de trois cents huiles, gouaches, aquarelles et acryliques, en se cherchant. Puis, soudain saisi devant des oeuvres de Loosli, il s’est initié à la gravure. Tandis que dans l’atelier Contraste de Jean-Pierre Humbert, à Fribourg, il s’exerce à la taille-douce, Carmen Lanz lui permet de se perfectionner dans le traitement de la couleur, et Viviane Fontaine, à Charmey, lui révèle la fabrication et les secrets du papier d’art. Ce n’est qu’au terme de cette quête, de ce compagnonnage, qu’il revient sur les terres de son enfance, pour créer à Ornans, en juin 1993, un atelier-galerie qu’il baptise en poète La TruiTe qui TroTTe.
La première année, il expose principalement quelques confrères : le romand Marc Yurt avec une série de bambous discrètement érotiques, le dijonnais Eric Robert-Aymé aux disjonctions graves et fortes, le dolois Dominique Sosolic, un maître de la minutie, originaire d’Ornans. Travaillant beaucoup, le plus souvent douze heures par jour et parfois davantage, quoique affable avec les badauds et les clients, les explications sans cesse recommencées, Philippe Debiève grave.
D’abord du Plexiglas. Des petits monstres, des truites sur le vif, et quelques nus dont le très évocateur « de chair et de terre ». Les tirages sont infimes ; car, même en ajustant au mieux sa presse dont les rouleaux admettent deux tonnes de pression, le support, rehaussé de résine de synthèse avant d’avoir été gravé, se brise au point que Philippe Debiève vend quelques monotypes, bien malgré lui. D’un Dolmen par exemple, imposant, cent quinze par cinquante-huit centimètres, d’une originalité totale — une sorte de mâle attente à l’approche de l’éternité — il a réalisé seulement trois états. Les éclats laissent sans voix.
Bientôt, il saisit des plaques de zinc. Car sa créativité est telle, que l’enthousiasme, l’admiration, le coup de cœur conduisent des visiteurs, parfois, à vouloir sur le champ ses réalisations. Le zinc, il le traite à l’eau-forte, à la pointe sèche, à la roulette, au burin. Il découpe, il polit. Il crée. Et puis, au tirage, il marie les couleurs. Ainsi, dans La Naissance recommencée, son premier ouvrage imprimé, l’une des cinq gravures, L’Ultime ruade, propose un bassin visionnaire aux cuisses levées, tout de vert tendre, croisé par une plume de paon que l’ocre irise. L’amour, l’inépuisable corps des mères, est son sujet de prédilection. Il donne à voir ce que, trop souvent, nous ne savons pas regarder. Il suggère, il entraîne, tout en finesse, l’ascension du bonheur.
Désormais il travaille sur des plaques de cuivre qu’à l’occasion il traite au soufre. Sa technique désormais maîtrisée, son talent s’avère irrécusable. Intelligent et réfléchi, capable d’audaces et de retenues conjointes, à l’aise aussi bien à forer les secrets de la mémoire que dans l’exploration de l’absolu, Philippe Debiève est un graveur d’ores et déjà capital. Il mérite plus que notre estime. Il ouvre l’infini. Le plain-chant de la beauté est son royaume.
Pierre Perrin [note de 1995, sans doute pour La Bartavelle]