Les invités : Trois sonnets de Jean-Baptiste Chassignet [XVIe siècle]

Jean-Baptiste Chassignet
Mépris de la vie et consolation contre la mort, 1594

Il a donné en 1594, à Besançon où il a vécu, Le Mépris de la vie et consolation contre la mort. Quatre cent trente-quatre sonnets croisés de quelques odes, prières et syndérèses nourrissent une interrogation qui ne laisse personne en repos depuis Homère. Quel est le sens de notre existence ? […] Cependant, sur le sol très catholique d’alors, il constate déjà qu’à la différence des autres animaux l’homme seul « préfère à sa patrie [la terre] un long bannissement ». Il offre des vers qu’on devrait tous relire : « La vie est toutefois à l’ombrage semblable, / À l’ombrage tremblant sous l’arbre d’un verger. ». Sa méditation tresse la verdeur, la saveur et la retenue tout ensemble. On songe parfois à Ronsard aux approches de la mort. Le Comtois n’en a pas la gloire, ni toujours la maîtrise. L’injustice est toutefois partout, jusque dans l’exercice de la postérité. [Pierre Perrin, in Franche-Comté, 1999]

CCLXIX

Pour un petit moment que tu dois vivre au monde
Pourquoy te bastis tu une habitation
De si haute grandeur que sa construction
Semble chocquer du ciel la cambreure profonde?

Cain fust le premier qui sur la terre ronde
Dressa une cité, duquel l’invention
Incontinant en queue eut sa punition,
Perdant du ciel heureus la lumiere seconde.

Si tu devois ça bas longuement sejourner,
Je ne m’estonnerais de te voir tant peiner
A construire et bastir une maison d’eslite,

Mais te voyant si pres de ton proche depart,
Que ne regardes tu que tel met beaucoup d’art
A bastir un logis ou jamais il n’habite ?


CCLXX

Arrivant au logis pour un petit quart d’heure
Que le passant y doit seulement sejourner,
Il ne s’adonne point à rompre et retourner,
Demolir ou bastir le lieu de sa demeure;

Estranger vagabond sur la terre peu seure,
Ne travailles point tant à briguer et vener
Ces honneurs que tu dois bien tost abandonner,
Que vivre en tel estat qu’heureusement tu meure.

Tu ne fais qu’arriver et peut estre demain
La mort mettra sur toy son homicide main,
Te contraignant de choir dans la fosse profonde;

Ceus des siecles premiers ainsi de lieus en lieus
Habitoint dans les creus ou sous les chesnes vieus,
S’avouant estrangers et pelerins du monde.


CCLXXI

Chacun le mieus qu’il peut souffre en l’hostellerie
Les incommoditez d’une mauvaise nuit,
Resou de s’en aller au premier jour qui suit,
Dormir en sa maison sans crainte et fascherie.

Endure constamment la haine et la furie,
Les tavaus et tourment de ce monde seduit,
Sçachant bien que demain tu vivras en desduit
En la cité de Dieu, recou de Samarie.

Voyagers comme toy, tes peres ont esté,
Forains comme tu es devant la majesté
Du grand moderateur de nostre destinee.

Par tant, si le travail du chemin t’est fascheus,
Ne desespere point du salut bien-heureus,
Bien tost tu parviendras au bout de ta journee.

voir aussi ces vers dans l’article Baroque

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