Les invités : Annie Salager, poèmes de Terra nostra (Cherche Midi)

Annie Salager, extraits de Terra nostra

Odeurs, ailes d’oiseaux abattus par la chasse,
le sang bruni parle de leur monceau.
Je n’est-il coupable.
Pas de chasseurs pourtant,
l’art s’est attaché leur silence.
Le vent remue çà et là quelques plumes.
Mais le vent trop rapide,
soudain qu’il se retourne, il dévêt le chasseur.
Entends son cri calciné sur mes terres.
Depuis l’aube la chasse est ouverte sur l’étang,
écho des confins guerriers auxquels on pense
mais ici, de roseaux naissent toujours les ailes.
Remâchée de senteurs, sortie neuve de la nuit,
une eau épand son alphabet dans le marais.
Faut-il naître à ce matin.
Mais qui entendrait votre plainte.
On s’interroge à peine,
on va menu, le vent fait larmoyer.
Il y a si longtemps qu’on cherche une langue
au milieu des chasseurs.

Pensée noyée dans la lumière
l’oiseau se tient au bord de l’être
pareil au poudroiement
des libellules à la fontaine,
l’oiseau indivisible tant que dure le jour.
Depuis le ciel de l’eau
sa danse où je m’oublie
je regarde l’oiseau
remonter les parois d’un gouffre
et sa nage immobile
et l’azur déchirer le temps.

Martinets fous d’amour
gorge zippée dans une boule de cristal
chercheriez-vous à coups de bec
à percer l’infini.
Vous ne sauriez ouvrir
un coeur aux cages vides,
fouettez la bouche sombre du passant,
il reconnaît le vent des soirs violets
à un reste d’eau sous les pierres
et, très haut, d’un point clair vous naissez.
Résonances, feuilles chauffées
en ce matin d’été, aujourd’hui
l’ombre y est de velours cinabre.

Ardents du ciel, voici les martinets.
Vaste le coeur,
il les contient avec leur grâce dans l’élan,
leur audace semblable à sa propre
chaleur d’invention,
à ses cris d’utopie les plus forts.
Surabondance de l’être.
Nous en sommes louange.
Qui meurt de nous,
nous en frôlons seulement le savoir,
et qui tombe d’un cri
enfoncé parmi d’autres pierres
en terre noire où nulle voix ne vient
quand de l’obscur la force violemment
nous suscite, nous brise.

Dès qu’ils sont là au croisement des courbes,
l’aile saisie de l’aube
et livrée aux nourritures d’air,
rien ne demeure des journées que leur chant numineux,
projet d’exil lancé jusqu’aux cornes du temps.
Multiples danseurs jumeaux, ils rasent les façades
dont ils contournent la fadeur
et disparaissent par le haut.
Posés ailleurs auprès d’invisibles fontaines.
(Les humains, les avions voyagent autrement
où l’errance les mène, où ils cherchent à vivre,
au bord de grandes villes irrationnelles
dépensières de mort).

De rebonds et de chutes,
leur cri nourrit une vitesse suraiguë,
exister se dessine en pur plaisir du trait.
Ils n’ont aucun besoin du feuillage
qui fertilise plus bas et pépie,
l’affaire est à l’espace
où dormir est encore du vol,
à ses sucs sonores, ses fontaines d’avant.
Et pour franchir le temps
leur envol se rend invisible
en décochant des dieux futurs,
semeurs de joie, qui jamais
peut-être ne trouveront le chemin de nos puits.


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